Bastia : (Corse matin) «Filière» d'aide au séjour irrégulier d'étrangers : la réplique de la défense

Publié le par Les jeunes avec Marine de Corse

source: corse matin 

 

Deuxième et dernière journée d'audience hier dans l'affaire de la filière supposée d'aide au séjour irrégulier d'étrangers mis au jour en 2009 à Bastia. Rappelons que quinze personnes sont citées devant le tribunal correctionnel de Bastia placée sous la présidence d'Anne David car elles sont soupçonnées d'avoir pris part, à différents niveaux de responsabilité, à un système d'obtention frauduleuse de titres de séjour par des étrangers en situation irrégulière.

Grâce à un dossier déposé à la préfecture de la Haute-Corse et où figuraient selon l'accusation des certificats médicaux de complaisance et, dans certains cas, des fausses attestations d'hébergement, ces ressortissants étrangers auraient ainsi obtenu, de manière indue, un récépissé de demande de titre de séjour pour raisons médicales ce qui leur permettait de rester provisoirement sur le territoire national.

Après les réquisitions du procureur de la République, Dominique Alzeari, les avocats des prévenus, présentés comme des protagonistes plus ou moins « périphériques » du dossier, ont pris tour à tour la parole. Des prévenus défendus par Mes Angeline Tomasi, Charlotte Marinacce, Christelle Elgart, Nelly Labouret, Pascale Meloni, Laurence Gaertner de Rocca Serra.

Hier, ce sont les avocats des deux principaux prévenus, le médecin et l'avocat bastiais soupçonnés d'être les pivots du système, qui ont plaidé : Me Jean-Marc Lanfranchi pour le Dr Louis Ansaldi, Mes Jean-Paul Éon et Jean-Louis Seatelli pour leur confrère Jean-Marie Pérès.

Ils ont plaidé la relaxe de leurs clients qui sont poursuivis pour « aide au séjour irrégulier d'étrangers en France en bande organisée » (l'avocat est également cité pour « recel de faux en écriture ») et contre lesquels le ministère public a requis 4 ans de prison dont 2 avec sursis, 30 000 euros d'amende, et l'interdiction d'exercer leur profession pour une durée de 5 ans.

Me Lanfranchi : "La montagne a accouché d'une souris"

Au début de sa plaidoirie, Me Jean-Marc Lanfranchi a formulé un regret : « On s'arrête aux apparences et pas au fond du dossier. Or, nous sommes ici pour faire du droit et pas autre chose. »

« On a porté atteinte à l'honorabilité et à la compétence du Dr Ansaldi ; on a cherché à diaboliser ce médecin qui a, derrière lui, 40 ans de carrière sans taches, au service notamment de la justice en tant qu'expert. On parle de ses signes extérieurs de richesse mais est-ce que cela fait de lui un fraudeur ? Si vous le condamnez, vous prononcez sa mort civile et professionnelle. » Et d'enchaîner en abordant le dossier proprement dit :« On vous a parlé d'un grand trafic mais la montagne a accouché d'une souris. Lors de la première journée d'audience, une consœur s'est interrogée sur la réalité de l'infraction d'aide au séjour irrégulier. En effet, c'est le point fondamental et pourtant, vous n'avez aucun élément permettant de dire qui a été aidé. Vous n'avez donc pas d'autre choix que la relaxe. » « L'accusation ne démontre pas en quoi l'infraction reprochée à mon client est constituée si tant est qu'il y en ait une. En rédigeant ces certificats, le Dr Ansaldi, médecin agréé, n'a fait que suivre la procédure et a été conforté en cela par le médecin inspecteur de la DDASS qui comme la préfecture de la Haute-Corse a, d'ailleurs, été "oublié" dans ce dossier. »

« La fraude, c'est le grand mot du ministère public. Mais on ne peut pas se contenter de l'affirmer de manière péremptoire, il faut des preuves. Or il n'y en a pas. Les rapports du Dr Ansaldi ne sont pas creux, pas falsifiés, pas frauduleux. Ceci explique d'ailleurs probablement pourquoi, il n'est pas poursuivi pour faux. »

Me Éon : "On veut faire de mon client un exemple"

Me Jean-Paul Éon, avocat de Jean-Marie Pérès, a d'abord constaté que « tout a été déclenché par une dénonciation anonyme et qu'il y a eu ensuite un véritable acharnement contre mon client qui a, par exemple, été le seul à être placé en détention. On veut faire de lui un exemple. »

« Et aujourd'hui, on vous demande, sur la base de généralités, de prendre contre lui des mesures dévastatrices. Mais on ne juge pas un homme sur des généralités. » Puis, il a décortiqué, d'un point de vue technique, le dossier, point par point.

« Le parquet dit qu'un récépissé obtenu de manière indue est constitutif d'une infraction car il aide, selon lui, au séjour irrégulier d'étrangers. Pourtant, le Conseil d'État stipule que ce récépissé ne fait pas obstacle à une reconduite à la frontière; il n'est donc pas constitutif d'une aide au séjour. »

Il rejette également, exemples à l'appui, l'affirmation selon laquelle Me Pérès ne faisait que des dossiers médicaux d'étrangers. Et fait par ailleurs remarquer qu'en tant qu'avocat, celui-ci « n'avait pas le pouvoir ni l'obligation de faire des vérifications» concernant les fausses attestations d'hébergement apparaissant dans nombre de cas litigieux.

Me Éon renvoie alors la balle dans le camp de l'administration : « Elle aurait dû rejeter ces demandes de titre de séjour pour raisons médicales car elles doivent comporter non pas une attestation d'hébergement qui a un caractère temporaire mais une attestation de résidence habituelle. La préfecture a pris des dossiers qu'elle n'aurait pas dû prendre et que le médecin contrôleur de la DDASS aurait également dû rejeter.»

Me Seatelli : "Le tribunal ne doit pas sortir de son rôle d'arbitre"

Également défenseur de Jean-Marie Pérès, Me Jean-Louis Seatelli a abordé ce dossier dans un cadre plus général.

« J'ai le sentiment que l'on vous a servi un mauvais dossier que l'on vous demande de sauver,a-t-il en s'adressant au tribunal. Un dossier dont le point de départ est une dénonciation anonyme, ce cancer qui vient créer la rumeur. »

« Le parquet a ensuite stigmatisé une situation pour faire plaisir à l'opinion. Mais vous n'êtes pas là pour suppléer les carences de l'administration et de la loi ni pour apaiser l'opinion, mais pour appliquer des textes. Faites fi de tout ce qui a entouré ce dossier. Vous êtes des magistrats libres et indépendants de la défense comme de l'accusation. Vous êtes des arbitres et, à ce titre, vous devez trancher sur des bases juridiques. Si vous allez au-delà de votre mission, vous vous transformez en moralisateurs et vous sortirez alors de ce rôle d'arbitre qui, au XXIe siècle, est le vôtre. »

Le tribunal correctionnel de Bastia a mis sa décision en délibéré. Le jugement sera rendu le 9 octobre.

 

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